L’avocat, outil du BTP
Autant que la truelle, qui permet de lier les pierres entre elles et de parfaire l’édifice, l’avocat peut être un outil pour le constructeur.
L’actualité nous le rappelle douloureusement : peu avant Noël, un salarié décédait après une chute de 30m sur le chantier du Grand-Paris.
En matière financière, la DGCCRF dénonçait dans son rapport 2019 (publié en juillet 2020), « la quasi mafia de la rénovation », pendant qu’un journal titrait « Attribution du marché du ˝Pentagone français˝ : un homme condamné à 2 ans de prison ferme » pour « recel de favoritisme et corruption active » en exposant que « l’attribution en février 2011 du marché de la construction du Ministère de la défense, de plus de 3,5 milliards d’euros » avait été l’objet d’agissements crapuleux d’un « intermédiaire » qui obtenait grâce à un fonctionnaire « qui traitait de l’ensemble de l’immobilier de la Défense » des informations devant être « vendues » aux candidats aux appels d’offre.
Le BTP a mauvaise presse et, sans doute en considération des enjeux financiers énormes, certains dérapent. Mais si les infractions permettant de faire les gros titres – favoritisme, corruption -, sont majoritaires sur le net, et concrétisent un fort risque réputationnel, ce qui impose de ne pas les écarter de la réflexion (A), les accidents du travail sont, dans la pratique quotidienne des métiers du BTP, la problématique prioritaire (B).
L’avocat pénaliste est évidemment le recours face à ces difficultés, malheureusement… on pense souvent à lui bien trop tard, quand le mal est fait.
Quatre questions, quatre pistes de réflexions pour mieux comprendre ces infractions, leurs enjeux et… leurs moyens de prévention.
A. Les infractions du droit pénal des affaires applicables au BTP
1. Quelles infractions ?
Si l’on reprend un panorama des « affaires » de ces dernières années, les infractions les plus souvent citées sont :
– La corruption et le trafic d’influence, consistant à obtenir ou essayer d’obtenir, moyennant des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, d’une autre personne exerçant une fonction officielle, qu’elle accomplisse ou retarde ou s’abstienne d’accomplir ou de retarder un acte de sa fonction ou un acte facilité par elle directement (corruption) ou indirectement (trafic d’influence) ; c’est l’infraction qui, du fait de l’implication d’élus, engendre le plus grand risque – au-delà des sanctions
– Réputationnel ;
– Le favoritisme consistant à se procurer ou de tenter de se procurer, auprès d’agents publics ou élus, un avantage injustifié, brisant ainsi la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public ; de notre expérience, il faut ici sensibiliser particulièrement les collaborateurs en province qui, à travers les rencontres informelles dans des clubs ou associations, reçoivent des « informations amicales » qui n’en constituent pas moins des actes de « favoritisme » ;
– L’entente illicite interdisant les « actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions »ayant pour but de porter atteinte au jeu de la concurrence notamment en s’accordant sur la répartition de marchés ou les prix. L’affaire des Lycées d’Ile de France, qui fût l’illustration paroxystique de cette pratique (grâce au logiciel Drapo), est encore dans toutes les mémoires.
2. Qui est responsable ?
S’agissant ici d’infractions intentionnelles, la personne pénalement responsable est celle qui commet l’acte. Ainsi, s’il s’agit d’un salarié, sa responsabilité n’entraînera ni celle de ses supérieurs hiérarchiques, sauf à prouver leur implication dans l’infraction (co-action, complicité), ni celle de la personne morale de la société. Celle-ci pouvant même se porter partie civile au dossier.
À l’inverse, s’il est démontré une implication des dirigeants de la société (commission, co-action, complicité), la personne morale pourra voir sa responsabilité pénale engagée à leurs côtés.
3. Quels enjeux ?
Pour les personnes physiques, évidemment le risque d’une peine de prison, les peines théoriques allant de 2 ans (favoritisme), 4 ans (entente illicite) à 10 ans (corruption/trafic d’influence), à quoi peuvent s’ajouter des amendes. En pratique, les peines sont rarement supérieures à 3 ans de prison avec sursis.
Concernant la personne morale, celle-ci est susceptible d’une amende pouvant aller jusqu’à 5 fois celle prévue contre les personnes physiques par le texte de l’infraction commise. Enfin, l’impact réputationnel doit être pris en compte, tant il est aujourd’hui un enjeu majeur dans cette époque où les réputations se font et se défont en quelques heures.
4. Quels moyens de prévention ?
En premier lieu, il convient de faire un audit du risque pénal, qui pourra se concrétiser en une cartographie des risques.
Sur la base de celle-ci plusieurs solutions et outils peuvent être mis en place. Au titre des moyens de prévention, citons les procédures d’évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires (« due diligence »), les contrôles comptables, les systèmes d’alerte, la formation des collaborateurs. Au titre des outils, peuvent être créés des postes de « risk manager » ou des services de contrôle de la conformité (« compliance »).
Ces mécanismes sont d’ailleurs obligatoires pour les sociétés et groupes ayant 500 salariés ET plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires depuis la loi 2016-1691 du 9 décembre 2016 dite « SAPIN II ».
L’œil de l’avocat pénaliste, malheureusement souvent écarté de cette phase de prévention, est en réalité essentiel, d’abord du fait de sa connaissance du droit, mais également et surtout, du fait de sa connaissance des pratiques poursuivies et sanctionnées, qui lui permettent de voir et relever des vulnérabilités différentes des professionnels du risque, qu’il complète ainsi.
B. Les infractions du droit pénal du travail
1. Quelles infractions ?
Les infractions principales en droit pénal du travail sont :
– Le travail illégal qui inclut le travail dissimulé, le marchandage, le prêt illicite de main d’œuvre, l’emploi d’étrangers non autorisés à travailler, le cumul irrégulier d’emplois, la fraude ou fausse déclaration ; près de 6 000 relevés d’infraction par l’inspection du travail sont transmis chaque année au parquet, dont 80% liés au travail dissimulé et 13% au travail d’étrangers en situation irrégulière, toutefois, cette dernière infraction est particulièrement présente dans le BTP, ce secteur représentant à lui seul 43 % des infractions.
– Les accidents du travail ou, plus juridiquement, les blessures et homicides involontaires. Malgré des efforts réels et importants dans le domaine de la sécurité, le BTP reste responsable de 13 % des accidents du travail et de 20 % des décès de salariés. Parmi les causes majoritaires : la manutention (48 %) et le travail en hauteur (17 %). On estime qu’au cours de sa carrière un salarié du BTP sera victime de 2.5 accidents du travail, les « AT » touchant 1 salarié sur 18.
2. Qui est responsable ?
Sur un plan judiciaire, les deux infractions ne se poursuiventpas de la même manière, et sont traitées avec des sévéritésdifférentes.
Le travail illégal est une infraction intentionnelle. Toutefois, notamment sous sa forme « emploi d’étranger sans titre », il tend à devenir des infractions sanctionnées au constat de la seule négligence de l’employeur, ou à l’intention présumée.
Ainsi, la seule inexécution de l’obligation de vérification constitue l’élément intentionnel (Crim. 25 févr. 1997, n°96-80.500) ; quant à la présentation de faux titres, il a été jugé que l’employeur qui « après avoir pu se rendre compte de ce que M.C… n’était pas la personne répondant au nom d’E… B…, dont
il lui présentait une copie de la pièce d’identité, s’est abstenu, non seulement de solliciter la production de l’original de ce document, comme il en prenait habituellement la précaution, mais aussi, et, en tout état de cause, de vérifier la situation de ce salarié étranger qu’il s’apprêtait à embaucher » commet le délit d’emploi illégal (Crim. 8.08.2018, n°17-84.920). Pour la poursuite, nous renvoyons à nos développements ci-dessus.
Les blessures et homicides involontaires quant à eux ont un régime totalement particulier. D’une part, même si l’accident est systématiquement engendré par l’acte d’un salarié, la responsabilité pénale de cet « auteur direct » n’est jamais engagée. Seule celle du « chef d’entreprise » est mise en oeuvre. D’autre part, il convient de distinguer ce « chef d’entreprise », le dirigeant légal de la société, et la personne morale. Si la responsabilité pénale de la société est engagée sur « faute simple », celle des dirigeants n’est engagée que sur « faute lourde » : violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou faute caractérisée. En pratique, lorsqu’il n’existe aucune faute « grave et flagrante », et avec beaucoup de pédagogie, il n’est donc pas rare de réussir à obtenir la relaxe des personnes physiques poursuivies, ces dossiers se terminant ainsi souvent par une peine d’amende pour la personne morale.
3. Quels enjeux ?
En premier lieu, évidemment, ces infractions touchent des enjeux humains gravissimes : maladie, handicap, mort de salariés concernant les accidents du travail ; exploitation de la misère humaine coté travail illégal.
Au-delà de l’humain, les enjeux financiers sont également énormes. Pour l’Etat d’abord qui prend en charge les blessés (accident du travail) sans pouvoir encaisser ce qui lui est dû (du fait du travail illégal). Mais également pour les entreprises : les accidents du travail représentent des pertes de jours travaillés, des indemnisations à verser, des cotisations supplémentaires à payer. Un accident mortel coûterait en moyenne 600 000 euros à une entreprise. Quant au travail illégal : amende administrative, redressements URSSAF et fiscaux, s’ajoutent aux indemnisations à verser et aux cotisations supplémentaires à payer.
Enfin, sur un plan, judiciaire, le travail illégal et l’homicide involontaire sont punis de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. L’homicide involontaire peut monter à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende lorsqu’il est commis en lien avec une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité. Les blessures involontaires causant un ITT de plus de 3 mois sont punies de 2 ans de prison et 30 000 euros d’amende, ces peines passant à 3 ans et 45 000 euros d’amende lorsqu’elles sont commises en lien avec une violation manifestement
délibérée d’une obligation particulière de sécurité.
4. Quels moyens de prévention ?
L’audit HSE par des professionnels du risque professionnel est désormais bien inscrit dans les moeurs des entreprises dans le but d’éviter les accidents. Concernant le travail illégal, l’Etat a imposé aux entreprises un certain nombre d’obligations documentaires (cartes BTP, attestation de fourniture des déclarations sociales, immatriculation au RCS ou registre des métiers, liste nominative des étrangers avec mention de leur titre valide, etc..) dont la vérification s’étend aux donneurs d’ordre en cas de sous-traitance.
Toutefois, là encore audit du risque pénal et cartographie des risques, notamment avec le regard d’un avocat pénaliste, sont tout sauf inutiles, non seulement pour identifier les situations problématiques, mais également pour rappeler les textes (souvent complexes) et répartition des responsabilités (souvent ignorées) et surtout apporter des solutions connues (délégation de pouvoirs) ou moins connues (contrats de transfert de responsabilité).
David Marais, avocat associé – Ancien Secrétaire de la Conférence, Expert en Protection des Entreprises et Intelligence Economique
Département Droit Pénal des Affaires et Intelligence Economique