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Fusion Absorption – Les juridictions d’instruction et de jugement doivent rechercher l’existence d’une fraude à la loi

A la lumière de son arrêt rendu le 25 novembre 2020 (Cass, crim, 25 novembre 2020, n° 18-86.955), la Chambre criminelle de la Cour de cassation précise par cet arrêt du 13 avril 2022 que les juridictions d’instruction, à l’instar des juridictions de jugement, doivent préalablement au prononcé d’un non-lieu, mener des investigations supplémentaires permettant de s’assurer que l’opération de fusion ou d’absorption est justifiée (par une autre cause que la volonté de la soustraction de l’absorbée à sa responsabilité pénale), et ainsi s’assurer de l’absence de fraude à la loi.

Pour approfondir

Pour mémoire, avant l’arrêt du 25 novembre 2020[1], la Chambre criminelle s’appuyait sur l’article 121-1 du code pénal, à savoir le principe de responsabilité du fait personnel, pour refuser qu’une société absorbante soit pénalement poursuivie pour des faits commis par la société absorbée avant l’opération de fusion-absorption. La vision de la Chambre criminelle, fondée sur une assimilation de la disparition de la personnalité morale de l’absorbée du fait de l’absorption au décès des personnes physiques[2], était critiquée en ce qu’elle ne tenait pas compte des spécificités de la personne morale et était sans rapport avec la réalité économique des sociétés[3]. Le Conseil d’Etat[4], la Chambre commerciale[5], la Cour de justice[6] et la Cour européenne des droits de l’homme[7] partageaient une conception inverse estimant que d’une certaine façon, la société absorbée ne disparaissait pas réellement, mais bien au contraire se continuait après l’absorption dans l’absorbante, permettant un maintien de la responsabilité de la première sur la tête de la seconde.

Le 25 novembre 2020, la Cour de cassation opérait un revirement de jurisprudence historique et abandonnait sa vision originale en précisant que, dans le cas de la fusion-absorption d’une société par une autre, la société absorbante pouvait voir sa responsabilité pénale engagée pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération et ce, dans deux hypothèses :

i) Lorsque les sociétés concernées sont des Sociétés anonymes ou des Sociétés par action simplifiées et que l’opération de fusion-absorption est réalisée postérieurement au 25 novembre 2020. Dans ce cas, seules les peines d’amende et de confiscation peuvent être prononcées ;

ii) Lorsque les sociétés qui réalisent l’opération de fusion-absorption, peu importe leur forme juridique ou la date de l’opération, le font en n’ayant pour seul objectif que de faire échec aux poursuites pénales à l’encontre de la société absorbée, en fraude à la loi. Dans ce cas, toutes les peines peuvent être prononcées.

L’arrêt du 13 avril 2022 vient compléter et préciser la nouvelle jurisprudence de la Cour.

En l’espèce, une plainte avec constitution de partie civile a été déposée le 6 novembre 2014 du chef de recel d’abus de biens sociaux commis par une société X à l’occasion d’une opération de promotion immobilière s’étant déroulée à compter de 1991. Le 30 novembre 2005, la société Y, seule actionnaire de la société X, avait décidé d’une dissolution anticipée de celle-ci accompagnée de la transmission universelle de son patrimoine à son bénéfice. Le 27 mai 2020, le juge d’instruction ordonnait un non-lieu du fait de la disparition de la société X poursuivie, celui-ci étant confirmé par la Chambre de l’instruction le 21 janvier 2021. Un pourvoi était formé contre cette décision.

Pour justifier la confirmation du non-lieu, la Chambre de l’instruction expliquait que la société X qui s’était rendue coupable de recel d’abus de biens sociaux avait fait l’objet d’une dissolution sans liquidation et un transfert de ses actifs et passifs vers la société actionnaire. Assimilant, selon la jurisprudence traditionnelle, cette sa disparition au décès des personnes physiques, elle précisait i) qu’à compter de cette dissolution l’action publique devait être éteinte à son encontre et que, ii) l’article 121-1 du code pénal et du principe de responsabilité personnelle s’opposaient à ce que la société absorbante soit poursuivie et condamnée pour des faits commis par la société absorbée antérieurement à l’opération de fusion-absorption.

Un pourvoi était déposé et précisait quant à lui que, quoique le principe de prévisibilité juridique s’oppose à ce que la décision historique du 25 novembre 2020 s’applique aux fusions antérieures à cette date, le Juge d’instruction ainsi que la Chambre de l’instruction auraient tout de même dû rechercher si la fusion réalisée ne relevait pas d’une fraude à la loi.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans son arrêt du 13 avril 2022, rappelle la solution prononcée dans le cadre de son arrêt du 25 novembre 2020 et, acceptant le pourvoi, explique en complément que « les juridictions d’instruction ne sauraient prononcer une décision de non-lieu fondée sur la dissolution de la société absorbée contre laquelle elles relèvent des charges suffisantes d’avoir commis des faits dont elles sont saisies, sans vérifier, soit d’office, soi à la demande d’une partie qui l’invoque, au besoin en ordonnant un supplément d’information, si les conditions pour exercer des poursuites à l’encontre de la société absorbante ne sont pas susceptibles d’être remplies ».

Ainsi :

Face à une fusion absorption, les juridictions de jugement et juridictions d’instruction doivent désormais avant de prononcer un non-lieu ou une relaxe vérifier d’office ou sur demande des parties que celle-ci n’a pas pour but de faire disparaître la personne morale de l’absorbée aux fins de lui éviter une responsabilité pénale, ce que la Cour appelle « la fraude à la loi », et si tel est le cas, doivent maintenir les poursuites contre l’absorbante.

Nos préconisations

  • Réaliser un audit pénal de la société absorbée en amont de l’opération ;
  • Négocier le montant de l’acquisition et les garanties lors de l’opération ;
  • Réaliser une enquête interne approfondie en aval de l’opération ;
  • Négocier avec le Parquet dans le cadre d’une CJIP en cas de découverte d’une infraction.

[1] Cf. D. Marais, coup de tonnerre dans le landerneau pénal : le revirement de la chambre criminelle du 25 novembre 2020 quant à la responsabilité pénale de la personne morale en cas de fusion-absorption (https://simonassocies-infos.com/coup-de-tonnerre-dans-le-landerneau-penal-le-revirement-de-la-chambre-criminelle-du-25-novembre-2020-quant-a-la-responsabilite-penale-de-la-personne-morale-en-cas-de-fusion-absorption/) / « La gestion du risque pénal et de la conformité à 360° : de l’audit à l’audience », édition l’Harmattan, D. Marais
[2] L’article 6 du code de procédure pénale rappelle que « l’action publique pour l’application de la peine s’éteint par la mort du prévenu, la prescription, l’amnistie, l’abrogation de la loi pénale et la chose jugée ». Il est complété par l’article 133-1 du Code pénal qui dispose : « Le décès du condamné ou la dissolution de la personne morale, sauf dans le cas où la dissolution est prononcée par la juridiction pénale, la grâce et l’amnistie, empêchent ou arrêtent l’exécution de la peine ».[3] Société – Compliance et opérations de fusions-acquisitions Le nouveau régime issu du revirement jurisprudentiel de novembre 2020 – Etude rédigée par Renaud Salomon et Jean-Yves Trochon et Sophie Schiller – 23 septembre 2021
[4] CE, 22 novembre 2020, n° 207697
[5] Cass, com, 21 janvier 2014, n° 12-29.166µ
[6] CJUE, 5e chambre, 5 mars 2015, aff. C-343/13, Modelo Continente Hipermercados SA c/ ACT
[7] CEDH, 1er octobre 2019, n° 37858/14, Carrefour France c/ France


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